A l’entame de l’année 2018, il nous est paru opportun de faire le point et de dresser la liste des revendications que notre association veut porter dans les mois à venir, dans le but d’améliorer, autant que possible, l’inclusion des personnes avec déficience intellectuelle dans notre société ainsi que leur qualité de vie et leurs possibilités d’épanouissement personnel. Le Conseil d’administration a donc dressé une liste de revendications qu’il a présenté aux membres, lors de l’Assemblée générale du vendredi 23 février 2018, afin de choisir celles que nous défendrons en priorité. Le moment nous paraissait d’autant plus opportun que nous sommes à l’approche de deux échéances électorales : les élections communales de 2018 et celles, régionales, fédérales et européennes, de 2019.

Attention, ces revendications ne sont pas des caprices d’enfants gâtés. Il s’agit seulement de réclamer la simple application, dans un certain nombre de domaines, des droits élémentaires des personnes handicapées, telles qu’elles sont reconnues par la Convention des Nations Unies de 2006 que la Belgique a ratifiée.

Ces revendications ne sont en outre pas toutes spécifiques au syndrome X fragile, mais concernent souvent toutes les personnes porteuses, à des degrés divers, d’une déficience intellectuelle. Aussi allons-nous les porter, en concertation avec les associations sœurs qui sont confrontées aux mêmes situations.

En général.

1. Aux ministres en charge de la personne handicapée, nous disons : « Il faut réaliser un véritable cadastre du handicap en Belgique. »

Il n’existe pas de statistiques détaillées, en Belgique, sur les différentes formes de handicap, sur les différentes difficultés rencontrées par les personnes concernées et sur la mesure dans laquelle les pouvoirs publics répondent aux besoins existants. Il y a bien quelques chiffres relatifs, entre autres, au nombre de personnes bénéficiant de certaines aides ou au nombre de personnes hébergées dans les différentes institutions, mais ces chiffres partiels ne peuvent suffire, si l’on veut élaborer des politiques sociales ciblées. Or ce qui est mal connu est souvent ignoré. Serait-ce, de la part de nos gouvernants, une manière de se donner bonne conscience et d’éviter les vraies questions ? Cet état de chose a d’ailleurs encore été souligné par les différents représentants des principaux partis politiques présents (PS, MR, CDH et Défi), lors d’une journée de rencontre organisée par l’AFrAHM à l’approche des élections de 2014. Tous s’accordaient à dire qu’un cadastre du handicap était une nécessité absolue. Quatre ans après, que reste-t-il de ces bonnes paroles : rien ! Or toute politique qui se respecte nécessite d’abord et avant tout de mesurer les enjeux, de dénombrer les différentes situations possibles, d’évaluer les besoins, etc. Nous réclamons donc que les différents niveaux de pouvoir se concertent en vue de l’établissement, en concertation avec les associations représentatives des personnes handicapées, d’une base de données sérieuse, dénombrant clairement les différents situations de handicap en Belgique et mettant en parallèle les besoins de la population et les capacités mises en place pour y répondre. La source des données de base de ce cadastre pourrait aisément être trouvée dans les dossiers du SPF Santé Publique, Direction générale des Personnes handicapées, qui détermine le degré de handicap, base de nombreuses allocations et indemnités. Les informations de base sont donc disponibles. Il ne suffit plus que d’une volonté politique pour changer les choses.

Dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation.

2. Au ministre de l’Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, nous disons : « Il faut favoriser l’inclusion scolaire dans l’enseignement ordinaire. »

Comme d’autres associations, nous revendiquons que l’inclusion scolaire des personnes avec un handicap et, spécialement, celles porteuses d’une déficience intellectuelle, soit sérieusement prise en compte dans l’élaboration du Pacte pour un enseignement d’excellence. Si le sujet a sans doute été évoqué, les divers groupes de travail mis en place n’ont pas encore profité de l’occasion pour aller au fond de la question. Or c’est indispensable, si l’on veut éviter que l’inclusion scolaire soit autre chose qu’un slogan sans réalité ou ne soit qu’un emplâtre que l’on rapporterait sur l’enseignement ordinaire mais qui n’y adhérerait pas. Car il y a vraiment aujourd’hui un hiatus, un fossé, entre discours et réalité. Cela va de la réticence de certains parents, qui craignent que l’inclusion ne ralentisse le développement de leur enfant ordinaire, à celle de certains enseignants, qui perçoivent l’inclusion d’enfants différents dans leur classe comme une difficulté supplémentaire à surmonter. Certes les choses ne sont pas simples et les aménagements raisonnables que prévoit la législation ne vont pas nécessairement de soi. Mais il faut souligner aussi que l’inclusion scolaire des enfants avec déficience est un droit reconnu par la Charte des Nations Unies. Sans doute est-ce donc une question de moyens. Il est indéniable, car on ne peut demander à un enseignant d’inclure un élève à besoins spécifiques dans une classe déjà surpeuplée et sans aucune aide extérieure. A cet égard, on devrait prendre exemple sur les pratiques du Canada, où un enfant « différent » compte pour quatre et est en outre assisté par une éducatrice à temps plein. Grâce à cette aide, l’enfant avec déficience intellectuelle peut en général fréquenter l’école ordinaire au moins jusqu’en 3e.

Cela étant, il nous semble aussi qu’une telle évolution est également une question de volonté du pouvoir organisateur, de la direction et de l’équipe pédagogique, qui doivent se lancer et remettre en cause un mode de fonctionnement parfois confortable. Certes, cela demandera des efforts. Mais les parents d’enfants différents n’ont pas choisi leur situation. Et pourtant, ils font face. C’est donc un devoir de les aider. Pourquoi ce qui est possible en Italie, en Espagne ou au Canada ne serait-il pas aussi possible en Belgique ? L’attitude est malheureusement souvent de dire, avant de commencer, que ce ne sera pas possible, que l’enfant déficient ne saura jamais lire, ni écrire, ni compter. Et pourtant, l’expérience montre que l’on peut être surpris. Alors, pourquoi ne pas s’inspirer de la phrase célèbre de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’on fait … » Ou encore de cette autre phrase : « Chaque réussite commence avec la volonté d’essayer. »

3. Aux ministres wallon et bruxellois en charge des transports, nous disons : « Il faut améliorer le transport scolaire. »

Il faut d’abord et avant tout limiter les temps de trajet que les enfants doivent supporter, à 1 heure par trajet au maximum (ce qui reste encore beaucoup pour un enfant). Cet objectif peut être atteint, soit en multipliant les tournées, soit en multipliant les écoles susceptibles d’accueillir les enfants (voir l’inclusion scolaire, ci-dessus). Il faut aussi s’assurer que tous les conducteurs et accompagnateurs reçoivent un minimum de formation sur l’accueil et l’accompagnement du handicap, en particulier des « comportements-défis ». Une telle formation systématique pourrait aisément être organisée avec l’aide des associations telles que la nôtre.

4. Aux ministres de l’enseignement supérieur et de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et au Conseil supérieur de l’enseignement spécialisé, nous disons : « Il faut améliorer la qualité de l’enseignement spécialisé. »

Même avec une plus grande inclusion des enfants avec déficience intellectuelle dans l’enseignement ordinaire, la nécessité d’une amélioration de l’enseignement spécialisé s’impose. Cela va de la formation et de la sélection des maîtres à l’adaptation du programme aux capacités personnelles de chaque enfant en passant par une meilleure collaboration entre enseignants et parents. Si nous avons rencontré dans l’enseignement spécial des enseignants motivés et ouverts, la vérité nous oblige aussi de dire que nous en avons rencontrés aussi qui sont loin de répondre aux attentes. Ces derniers se comportent en effet souvent comme si les enfants étaient faits pour l’école et non l’inverse ! Trop souvent, nous constatons un refus de s’adapter aux spécificités de l’enfant, refus qui se concrétise souvent par l’absence d’un PIA (plan individuel d’apprentissage) pourtant exigé par le décret. Trop souvent aussi, nous constatons une absence de collaboration et même de dialogue entre les enseignants et les parents, alors qu’elle est d’autant plus nécessaire que la déficience intellectuelle de l’enfant est présente. Comment améliorer la qualité de l’enseignement spécialisé ? Nous proposons qu’une large enquête de satisfaction soit menée auprès des parents et des enfants, mais aussi des enseignants eux-mêmes, par une équipe universitaire. Une telle enquête permettrait de mesurer les besoins d’amélioration et de cibler les domaines d’action.

5. Aux ministres en charge de l’action sociale, nous disons : « Il faut favoriser la poursuite des apprentissages après la période scolaire. »

Aujourd’hui, la poursuite des apprentissages après la période scolaire est laissée à l’initiative des parents.  Ils peuvent dans ce cas s’adresser à une logopède, mais ce n’est pas à la portée de tous. Les services d’accueil ne prévoient généralement pas d’apprentissages postscolaires, ce n’est pas leur rôle tel que défini par le législateur, alors même que le personnel encadrant porte le grade d’éducateur, voire d’éducateur spécialisé…  Parfois cependant, mais cela reste une exception, un service d’accueil propose par exemple aux résidents de participer à la rédaction d’un journal interne ou d’une page Facebook.

Nous revendiquons que ce genre d’activité en lien avec l’écriture et l’utilisation d’un ordinateur soit proposée plus systématiquement.  Et nous demandons aux ministres de tutelle de développer des incitants à cet égard.

Dans le domaine de la santé.

6. Au ministre fédéral de la santé, nous disons : « Il faut rembourser les séances de logopédie à tous les enfants, quel que soit leur QI et le type d’enseignement dans lequel ils sont inscrits. »

Il est discriminatoire qu’un enfant avec une déficience intellectuelle n’ait pas accès au remboursement des séances de logopédie sur le seul critère d’un QI évalué à moins de 85. Toutes les écoles d’enseignement spécialisé n’offrent pas nécessairement de séances de logopédie individuelles. Et les enfants qui bénéficient d’’un projet d’intégration en sont également souvent privés, parce qu’ils sont inscrits en enseignement spécialisé et, cela, même s’ils ne le fréquentent pas ! De plus, la qualité de ces séances en enseignement spécialisé n’est jamais évaluée, contrairement à celle de l’enseignement qui est contrôlée par le service d’inspection scolaire. De sorte que les enfants avec un QI inférieur à 85 sont discriminés, n’ayant pas accès à ce type d’intervention, sauf bien sûr si leurs parents en prennent le coût entièrement à leur charge. Or beaucoup d’enfants dans cette situation vivent dans une famille monoparentale, manquant souvent de moyens. Il est donc impératif que le critère discriminatif soit supprimé. D’autant plus que ces séances de logopédie sont susceptibles de conduire à une amélioration sensible du QI et de l’autonomie des enfants concernés.

7. Aux responsables des institutions qui accueillent des personnes avec déficience intellectuelle, nous disons : « Il faut limiter le rôle des psychiatres à tendance psychanalytique dans les institutions. »

Est-ce l’influence française ? Il apparaît que de plus en plus de personnes X fragile en institutions sont prises en charge par des psychiatres, qui dans leurs interventions ne se basent que sur les symptômes et non les causes de difficultés de comportement. Or on sait que les « comportements-défis » sont souvent l’expression d’un mal être qu’il est important de décrypter. Tandis que nous constatons que, de plus en plus, les psychiatres intervenant en institution font appel à la psychanalyse, qui est totalement inadaptée dans de nombreux syndromes comme le syndrome de Down (trisomie 21) ou le syndrome X fragile.

8. Aux responsables des institutions qui accueillent des personnes avec déficience intellectuelle, nous disons : « Evitez les problèmes générés par une sur-médication. »

Dans le contexte décrit au point précédent, nous constatons souvent une non prise en compte de la spécificité du syndrome et des comportements-défis associés. Le médecin, souvent un psychiatre, traite les symptômes par des médicaments, sans chercher à comprendre la signification des comportements-défis. Or les médicaments ne résolvent rien dans ce cas. Et on sait qu’une sur-médication accroît plutôt les problèmes. Nous plaidons donc pour une meilleure formation des médecins intervenant en institutions à la problématique des comportements-défis.

9. Au ministre fédéral de la santé, nous disons : « Il faut créer un nouveau numéro de nomenclature pour double consultation en cas de diagnostic. »

Lors de l’annonce d’un diagnostic de handicap, le médecin doit pouvoir prendre du temps pour exposer la situation aux parents, expliquer les conséquences et les enjeux et répondre aux nombreuses questions que cette annonce soulève. Pour l’aider à dégager le temps nécessaire, il est indispensable qu’il puisse disposer d’un numéro de nomenclature spécifique permettant de rémunérer une double consultation.

Dans le domaine de l’accès aux services.

10. Au ministre fédéral des transports, nous disons : « Il faut obtenir de la SNCB la suppression de la surtaxe lors de l’achat de billets de train à bord par une personne avec déficience intellectuelle. »

Depuis quelques années, la SNCB applique une politique de réduction des coûts en remplaçant de plus en plus des guichets de gare par des automates de vente. Elle applique en outre une surtaxe de 7 euros pour tout billet acheté à bord du train. Cette évolution, a priori légitime, est cependant discriminatoire vis-à-vis de nombreuses personnes avec déficience intellectuelle, qui, bien que capables de se déplacer seules, soit ne savent pas lire ni écrire, et sont donc incapables de se servir d’un automate de vente, soit sont malhabiles dans leur utilisation. Nous réclamons donc la non application de la surtaxe en cas de vente à bord, pour toute personne porteuse de la European Disability Card.

Dans le domaine de la vie sociale.

11. Aux ministres de la justice, aux ministres en charge de l’enseignement et de l’action sociale, nous disons : « Il faut organiser la lutte contre la maltraitance dans les transports, dans l’enseignement et dans les institutions. »

Nous avons connaissance d’un certain nombre de cas de maltraitance dans les transports scolaires, à l’école ou dans des institutions, dont des enfants ou des adultes avec déficience intellectuelle sont les victimes. Fréquemment, ce sont des accompagnateurs, des enseignants, des soignants qui sont coupables de tels faits répréhensibles. Hélas, une omerta empêche souvent les collègues de parler et de dénoncer des comportements qui attentent à la dignité humaine et sont intolérables de la part de personnes dont le rôle devrait plutôt être de protéger ceux qu’elles agressent. Nous plaidons donc pour que les services d’inspection soient mieux armés pour détecter et sanctionner de tels faits. Nous plaidons aussi pour que l’on évite de réintégrer dans le même poste une personne condamnée pour maltraitance.

12. Au ministre wallon en charge de l’action sociale, nous disons : « Il faut supprimer le moratoire du nombre de places en ETA. »

Il y a trop peu de places en ETA (Entreprise de Travail Adapté) pour accueillir toutes les personnes avec déficience intellectuelle désireuses et capables de travailler. Nous plaidons donc pour que le budget correspondant soit revu à la hausse. Il vaut mieux avoir des personnes au travail que des chômeurs.

Dans le domaine de la vie adulte.

13. Aux ministres wallon et bruxellois en charge de l’action sociale, nous disons : « Il faut développer le soutien à l’autodétermination des personnes avec déficience intellectuelle, spécialement en institution. »

La Convention des Nations Unies prescrit qu’il faut favoriser l’autodétermination des personnes avec déficience intellectuelle. Or, trop fréquemment, leur liberté de choix est limitée dans les institutions. Nous revendiquons donc pour qu’un contrôle soit effectué à ce propos, grâce à des enquêtes de satisfaction régulières, s’assurant que l’on prend en considération les envies des personnes. N’y a-t-il pas là un rôle à jouer pour l’AViQ et le PHARE ou pour UNIA ?

14. Au ministre fédéral de la justice, nous disons : « Il faut contrôler la qualité du travail des administrateurs de biens et/ou de personnes. »

Le code civil prévoit que les personnes qui, en raison de leur santé, sont incapables d’assumer elles-mêmes la gestion de leurs biens patrimoniaux ou non patrimoniaux peuvent être placées sous protection. Le juge de paix désigne dans ce cas un administrateur de biens et/ou de personne, selon ce qui est nécessaire. Cet administrateur doit alors obligatoirement intervenir dans un certain nombre d’actes, selon ce que le juge aura arrêté. Cette intervention obligatoire nécessite, selon nous, un contact régulier entre l’administrateur et la personne protégée, afin que la première tienne au mieux compte des besoins réels et des souhaits de la seconde. Il est en effet important que cette dernière garde une possibilité, si minime soit-elle, d’autodétermination. Or nous constatons que dans un nombre de cas non négligeables les administrateurs de biens et de personnes, qui sont souvent des avocats, ont un nombre considérable de dossiers à gérer, de sorte qu’il leur est pratiquement impossible de rencontrer régulièrement chaque personne dont ils sont responsables. Nous plaidons donc : (1) pour que le nombre maximum de dossiers traités par un administrateur soit limité par la loi et (2) pour que chaque administrateur soit tenu de rédiger un compte-rendu éventuellement bref de chaque rencontre avec la personne protégée et l’annexer au rapport annuel qu’il est tenu de remettre au juge.

15. Aux ministres wallon et bruxellois en charge de l’action sociale, nous disons : « Il faut accroître le nombre de places en foyers de vie, grâce à une meilleure politique de soutien des initiatives privées. »

Il faut en effet promouvoir et soutenir le développement de nouveaux foyers de vie pour personnes avec déficience intellectuelle, non seulement grâce à des incitants fiscaux mais aussi grâce à des services d’appui (AViQ, PHARE), qui pourraient assister les candidats dans la recherche de financements, dans la mise au point des aspects juridiques et organisationnels, etc. de leur projet.

16. Aux ministres wallon et bruxellois en charge de l’action sociale, nous disons : « Il faut soutenir la création de logements véritablement inclusifs intergénérationnels, inspirés du concept développé par le mouvement « Camphill » en Angleterre.

L’idée est de promouvoir la création et le développement de mini-villages intergénérationnels, intégrant des enfants et des adultes avec déficience intellectuelle avec d’autres familles et d’autres personnes de tous âges, qu’il s’agisse de personnel d’encadrement ou d’autres. La création de tels villages favoriserait l’intégration de personnes avec déficience intellectuelle et le maintien de personnes âgées dans une communauté de vie.

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